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- L’héroïne de votre roman, M’barka, est une jeune Bédouine. L’histoire s’inspire d’un fait réel et d’un lieu qui existe : le rocher de la Demoiselle (Hadjrat Al Anissa), situé dans la plaine du Tidikelt. Pourquoi avoir fait la part belleMes personnages reflètent une dynamique politique, économique, sociale et spirituelle particulière à leur région
- L’héroïne de votre roman, M’barka, est une jeune Bédouine. L’histoire s’inspire d’un fait réel et d’un lieu qui existe : le rocher de la Demoiselle (Hadjrat Al Anissa), situé dans la plaine du Tidikelt. Pourquoi avoir fait la part belle à la légende de ces lieux inhabités d’In Salah ? Dans le désert, la grandeur s’apparente à la légende et la légende porte toujours l’empreinte des saints. Il est impossible de faire une approche des sociétés du désert sans qu’une place de choix ne soit accordée à leurs saints. Dans les déserts du Tidikelt et même du Touat, les légendes se sont accaparées la mémoire de ses habitants. La transmission orale céda à la beauté des histoires et des mythes et parfois contribua à en inventer et les évènements historiques qui se sont imposés comme des repères incontournables ont tous été érigés par les mains d’hommes et de femmes reconnus jusqu’à ces jours comme étant des saints. Mbarka était grande par la pureté de son âme, par l’immensité de l’affection qu’elle vouait à tous, par sa conviction que le bien ne peut nous déverser que dans le bien même si elle était encore trop jeune pour savoir qu’il y avait un prix a payer. M’barka avait la certitude que le développement, l’émancipation et la liberté étaient un rêve latent en chacun et qu’elle fut élue pour le révéler. Ignorant totalement que le verdict à l’encontre de sa différence et de ce qu’elle représentait était prononcé, M’barka baigna dans l’insouciance et les plus belles des illusions. Son réveil fut violent. Même si elle montra une compréhension envers ceux et celles qui ne surent partager son rêve, elle ne put résister à leur intolérance. Elle finit par s’exiler au rocher de la Demoiselle. Un rocher qui porte l’histoire d’une autre demoiselle. Une demoiselle qui fut martyrisée sans qu’elle ait porté un rêve de la grandeur de celui de M’barka. M’barka était grande par son essence et dans une dimension saharienne, seule la légende pouvait contenir son destin. Dans le désert, les régions inhabitées ne sont pas synonymes de sites abandonnés ou dévalués. Quand un lieu porte un nom, il porte déjà ses légendes et ses saints. Et même si, par des concours de circonstances, ce lieu finit par être abandonné, il continue et continuera à représenter une partie de l’identité des habitants du désert. Je tiens la légende du rocher de la Demoiselle de Hadj M’hamed Zizah, le premier enseignant de la ville d’In Salah. Un homme qui a sacrifié toute sa vie pour l’école et le résultat de son sacrifice est prodigieux. L’histoire du rocher de la Demoiselle est aussi un hommage à toutes celles qui ont subi, dans le silence, l’humiliation pour leur faiblesse et leur désavantage. Une question mérite d’être posée : pourquoi les habitants du désert se sont construit autour de légendes et de leurs saints ? Malgré mes dix-sept années passées dans le désert du Tidikelt, je ne pourrais moi-même répondre à cette question que par des intuitions qui me chuchotent que les Bédouins voulaient côtoyer la grandeur du désert par d’autres grandeurs et ils ne trouvèrent que des légendes. - Votre récit, nous le devinons, est un hommage au désert et à ses habitants. En lisant votre récit, on découvre des personnages qui font face à la rigueur du climat avec résignation… Quand on se rend dans le désert pour une semaine ou deux, dans un cadre bien organisé, on revient avec de très fortes émotions et surtout avec la certitude qu’on vient de rencontrer le plus beau désert du monde. En ne citant que Arak, les monts d’Ahnet, le Hoggar, le Tassili, le Tidikelt et Timimoun. Mais quand on y vit, on est très vite rattrapé par l’intelligence des habitants du désert, par la complexité de leur société, par une échelle sociale bénie par certains parce que leur accordant les cimes et bannie par d’autres pour l’histoire qu’elle porte. Un tabou qui continue à sévir malgré tous les dégâts qu’il continue d’engendrer. L’histoire de l’esclavage dans le désert de notre pays. Une histoire qui ne fut jamais assumée et qui, cueillie par des opportunistes et des aventuriers, continue à nourrir le quotidien des habitants du désert en fissures douloureuses et quelquefois très dangereuses. Il est vrai que le climat dans le désert est très dur, mais ce que le jour vous fait subir, la nuit vous le rend généreusement par une affectueuse douceur et un ciel qui vous offre ses infinités d’étoiles à travers un dôme qui vous donne l’impression qu’il vous porte. Mes personnages reflètent juste une dynamique politique, économique, sociale et spirituelle particulière à leur région. Je les décris avec honnêteté. - Les textes de fiction (romans, récits, etc.) dont le décor est désert sont rares dans la littérature algérienne. Pourquoi nos auteurs continuent d’ignorer cette partie de nous qu’est le vaste Sahara ? Pour écrire sur le désert, il faut avoir des choses intéressantes et particulières à écrire. Et pour y parvenir, il faudrait y vivre, et y vivre longtemps ! Les courts séjours ne peuvent inspirer que des impressions. Et on ne peut pas tirer des œuvres à partir d’impressions. Le père de Foucauld a beaucoup écrit sur Tamanrasset. Il a pu le faire après une vie consacrée aux Touareg du Hoggar. On ne peut construire des œuvres à partir de décisions impulsifs ou émanant de réunions passionnelles et occasionnelles. Les œuvres sont construites par des hommes et des femmes qui sont eux-mêmes et elles-mêmes des œuvres. Des œuvres de l’école, de la formation, du droit et de la liberté de penser. Et c’est à partir de ce socle que des millions d’hommes et de femmes prennent leur destin en main et, dans la grandeur de leur parcours, ils donnent une grandeur à leur pays. Vous savez, votre question est très intéressante. Elle dévoile le désintérêt de nos chercheurs, de nos historiens et de nos étudiants pour la plus grande partie de notre pays. Des maladresses qui nous coûtent l’égarement d’une grande partie de notre patrimoine. Pour la triste anecdote, dans les années quatre-vingt-dix, lors de la préparation d’un séminaire organisé par l’Institut national de santé publique (INSP), il nous a été demandé de nous présenter avec une monographie de nos régions. J’ai pris alors contact avec certaines personnes pour me procurer une monographie de la ville d’In Salah. J’ai pu en trouver une que gardait jalousement un notable de la ville connu pour sa connaissance de l’histoire de la région. La seule monographie de la ville d’In Salah était faite par un jeune Français qui était venu y passer son service national dans les années cinquante. Je pense que notre désert est d’une très grande richesse historique, culturelle et sociale. Il est triste d’attendre que des gens viennent d’outre-mer pour le valoriser. Les universités algériennes devraient se pencher sur ces espaces. Des milliers de thèses pourraient puiser dans cette richesse et autant de livres y trouver inspiration. - Après vos études de médecine à la faculté d’Alger, vous avez préféré, contrairement à beaucoup de vos confrères, vous installer à In Salah pour exercer votre métier. Vous vous y êtes établi durant dix-sept ans. Qu’est-ce qui vous y a retenu durant toute cette période ? L’usage de «contrairement à beaucoup de vos confrères» met l’accent sur le choix d’autres médecins qui est fait à partir d’autres visions des choses, d’autres attentes, d’autres ambitions et même d’autres raisons de vivre. Mon choix ne porte aucun brin de prétention. C’est juste un destin conçu par des décisions qui elles-mêmes trouvent leurs explications dans d’autres réalités et peut être dans des évènements lointains. Si vous faites allusion au mouvement des médecins résidents, je vous dis que ces médecins sont les enfants de l’Algérie. Ils sont parmi ce qu’il y a de meilleur dans notre pays. Ils sont d’abord tous des bacheliers avec mention très bien et des médecins qui ont réussi un concours très difficile où la concurrence est rude. Je pense qu’on n’a pas le droit de les prendre par l’usure et d’imposer l’échec à leur mouvement. Même si leur revendication centrale est délicate, elle est et elle demeure légitime. Je pense que la leçon à tirer de leur grève est très grande. Un grand mouvement devrait être pris dans sa grandeur. Refuser de les écouter et de les comprendre n’est qu’un acharnement à continuer à sévir avec des outils d’un autre temps et en méconnaissant totalement ceux à qui on a affaire. Vous savez, j’ai l’extrême conviction que rien ne vaut un médecin de garde, qu’il soit interne, généraliste, résident, assistant ou professeur. La santé algérienne a besoin de l’engagement humain de son personnel et la reconquête de cet engagement, en partie égaré, ne peut se faire sans un réel respect envers ce même personnel. Concernant mon choix qui remonte à très longtemps, j’étais jeune et assoiffé d’aventures. J’ai débarqué a In Salah avec deux cabas : un contenant quelques vêtements et l’autre de vieux livres que je gardais de l’externat, dont le plus précieux était le Blacque-Belair. Le désert m’a passionné et l’exercice du métier de médecin dans ces régions était une passion d’une autre dimension. Par des actions simples, le plus souvent préventives, les résultats étaient prodigieux. En parfois quelques mois, on voyait l’impact de notre travail sur la mortalité infantile. Et ça, ça n’a pas de prix ! Remarquant ma passion pour le désert, les habitants d’In Ghar (un village situé à 70 km à l’ouest d’In Salah) m’avaient sollicité pour venir travailler chez eux. Ils m’avaient fait part de leur desarroi et m’avaient demandé de venir à leur secours, soigner leurs enfants et assister l’accouchement de leurs femmes. Ils ne citaient que ceux-là parce que c’était leur plus grande douleur. Je m’étais alors dirigé vers In Ghar armé d’une médecine clinique, d’une prudence thérapeutique et portant douloureusement des carences que je n’ai pu défier que par la prudence. Et c’est pour ces carences que je m’investis actuellement dans une maison d’édition dédiée à la formation médicale continue. L’une de mes plus grandes fiertés et mon plus grand apaisement est qu’à ce moment de ma vie et de leur histoire, je ne leur ai pas tourné le dos. Le prix était très lourd. Des années de travail jusqu’à l’épuisement et de grands sacrifices... Mais je pense que tout a un prix. Quand il m’arrive de faire le bilan de mes années, je trouve que le meilleur s’était passé dans cette partie de notre pays et à cette époque. Il faut dire aussi que le quotidien dans le secteur sanitaire est très difficile. Les relations sont souvent très complexes et la méfiance traditionnelle de l’administration à l’égard des médecins est toujours lourde de conséquences. C’est encore plus compliqué quand les différents acteurs de la santé ne sont pas rassemblés autour d’un même projet. Et pour répondre précisément à votre question, je vous dirais que ce qui m’y avait retenu était la passion. La passion pour le Tidikelt et pour l’exercice de la médecine dans un environnement particulier. Mais une passion ne peut pas porter, à elle seule, tout un destin. Il en faut plusieurs qui alternent et au sein desquelles on retrouve à chaque fois nos aspirations et notre repos. Apres de longues années, ma présence n’était plus vitale et l’horizon ne me dissimulait que peu de chose. J’ai pris alors la décision de renaître ailleurs, de faire autre chose et d’essayer de trouver un autre sens à ma vie. Je continuais à apprendre que le prix était encore lourd pour chaque conquête, mais ça valait à chaque fois la peine. On finit par se délester de tout en gardant comme seul butin que le plus important est de faire quelque chose de bien de sa vie ou, plutôt, de se consacrer au bien. - Des projets en vue ? Je travaille sur un manuscrit qui rapporte l’histoire d’un jeune Allemand qui, un jour d’automne dans les années 90’, atterrit imprévisiblement dans le village d’In Ghar. Dans ce manuscrit, j’essaye de montrer que quand les hommes se côtoient et se regardent dans les yeux, ils ne trouvent point de différences entre eux quelles que soient leur origine ou leur religion. je fais émerger aussi le fait que les plus grands conflits idéologiques dissimulent toujours des conflits d’intérêts en tout genre. Et c’est aussi à chaque fois une approche de la société bédouine. C’est un hommage à un ami de Heidelberg, qui a aimé le désert d’Algérie. Il avait commencé à le traverser par piste dès 1971, et il l’a fait une cinquantaine de fois. Actuellement, il vit replié chez lui. Il n’a jamais pu surmonter sa nostalgie pour l’Algérie d’une certaine époque. Read more